Marvin Israel : le mentor, l’amant, le génie malin
Marvin Israel
Marvin Israel (1924-1984) était un artiste qui explorait les intersections de la peinture, de la photographie, de la direction artistique et du design. Né à Syracuse (New York), il étudia à l’université de Syracuse puis obtint un Master of Fine Arts à Yale. Il fut directeur artistique de Harper’s Bazaar de 1961 à 1963 et professeur à la New School for Social Research de New York.
Israel était un mentor dévoué à la promotion d’autres artistes, particulièrement les photographes Diane Arbus et Richard Avedon. Son jugement esthétique et ses conseils influencèrent toute une génération de photographes dans les années 1950 et 1960, ceux que Jane Livingston définit comme l’École de photographie de New York.
La Rencontre et l’Influence Professionnelle
En 1959, Arbus rencontre son second mentor, Marvin Israel, qui devient rapidement l’une des influences majeures de sa vie. Il soutient ses idées et la pousse à les poursuivre encore plus loin. Il la conseille sur le choix des photographies à partir des planches-contacts et lui présente des personnes qui, selon lui, pourraient l’influencer ou aider sa carrière.
C’est Israel qui lui suggéra de créer un portfolio, et c’est lui qui conçut la boîte en plastique translucide contenant les dix photographies. En fin 1969, Arbus commença à travailler sur ce portfolio intitulé A box of ten photographs. Sa mallette fut conçue par Marvin Israel, la sélection des photographies par Arbus, ses tirages exquis et ses vélins inscrits – chaque composant fut soigneusement conçu pour créer une rencontre intime.
Cette relation avec Marvin fut très bénéfique pour la carrière de Diane, car il l’influença et la poussa à adopter un aspect créatif de la photographie, ce qui la conduisit à se concentrer sur la photographie des marges de la société. Plus encore, Marvin convainquit Diane de publier son premier portfolio.
Ce portfolio, vendu seulement 1000$ et dont elle n’avait complété que quatre exemplaires avant sa mort, devint légendaire. Richard Avedon en acheta deux (un pour lui et un pour son ami Mike Nichols), les autres allant à Jasper Johns et à Bea Feitler, directrice artistique de Harper’s Bazaar.
La Relation Amoureuse Complexe
Au-delà du mentorat professionnel, Israel et Arbus entretinrent une relation amoureuse passionnée mais frustrante. Marvin Israel, amant et lui aussi produit d’une famille juive de la haute bourgeoisie new-yorkaise, inspira à Arbus certains de ses meilleurs travaux. Il était son égal intellectuel et les deux partageaient beaucoup en commun, mais Israel refusa de quitter sa femme pour Arbus.
En 1950, Israel avait épousé Margaret (Marge) Ponce, artiste céramiste et peintre née à Cuba. Le couple partageait un studio avec leurs animaux de compagnie, qui incluaient parfois des perroquets, des colombes, des poulets, des chiens, des lapins et des chats. Israel resta marié et dévoué à sa femme tout en entretenant cette relation avec Arbus qui dura environ dix ans, jusqu’à la mort de celle-ci.
Arbus remplaça Allan par un amant, le petit, chauve et laid Marvin Israel, qui resta marié et dévoué à sa femme. Il encouragea et inspira Arbus, mais fut aussi un génie malin, une influence maligne.
La Trahison Ultime
La dimension la plus troublante de cette relation concerne la fille d’Arbus, Doon. Le dernier amour de sa vie, le directeur artistique (et marié) Marvin Israel, perdit son intérêt pour Arbus au profit de sa fille adolescente.
Le biographe Arthur Lubow crédite les témoignages d’amis d’Arbus selon lesquels une autre romance quasi-incestueuse, la liaison supposée d’Israel avec la fille d’Arbus, Doon, contribua probablement à sa fin. Le suicide est complexe : Arbus souffrait de dépression, le vieillissement la troublait, elle était atteinte d’hépatite, et elle était souvent désespérée concernant ses finances et son travail. Mais une double trahison – par sa fille et son amant – ne pouvait pas aider. “Après la mort de Diane, Marvin et Doon fréquentèrent et voyagèrent ensemble en tant que couple”, rapporte Lubow, bien qu’Israel continuât à vivre avec sa femme.
Doon suscitait la jalousie d’Arbus en travaillant comme assistante pour son rival artistique Richard Avedon. Israel eut des relations sexuelles avec Doon, sa fille et rivale.
La Découverte du Corps et l’Héritage Posthume
Souffrant d’une dépression extrême, prise entre sa peur de la célébrité et son besoin d’argent, et à un carrefour de son travail, Diane Arbus se suicida dans son appartement le 26 juillet 1971, laissant les mots “last supper” écrits à cette date dans son journal. Marvin Israel découvrit le corps le 28 juillet.
Après sa mort, Israel joua un rôle crucial dans l’établissement de son héritage. Israel consulta et conçut plusieurs monographies de photographes, dont celles de Richard Avedon, Peter Beard, Lee Friedlander et Lisette Model. La plus notable fut Diane Arbus: An Aperture Monograph de 1972, qui porta sa photographie à un public grand public.
En 1978-79, une exposition de son œuvre, organisée par Doon Arbus et Marvin Israel, fit une tournée en Nouvelle-Zélande.
L’Énigme Marvin Israel
Un documentaire intitulé “Who is Marvin Israel” (2005, 42 minutes), réalisé par Neil Selkirk et Doon Arbus, explore l’influence de cet énigmatique artiste, designer, directeur artistique et professeur sur Diane Arbus, Richard Avedon, Robert Frank, Lisette Model et Lee Friedlander, à travers les mots de ceux qui l’ont connu.
Analyse de cette Relation
La relation Israel-Arbus incarne toutes les contradictions et complexités de la vie d’Arbus :
-
Le catalyseur créatif : Israel fut indéniablement crucial pour le développement artistique d’Arbus, la poussant vers l’audace et l’innovation.
-
L’impossible amour : Sa position d’amant marié mais refusant de quitter sa femme plaça Arbus dans une situation d’attente et de frustration permanente.
-
Le jugement esthétique : Son œil de designer et de directeur artistique aida Arbus à affiner son travail, notamment dans le choix des images pour le portfolio.
-
La trahison finale : La relation avec Doon, si elle est avérée, constitue une trahison d’une cruauté extraordinaire qui dut dévaster Arbus déjà fragilisée.
-
L’héritage paradoxal : Après sa mort, Israel contribua à établir sa renommée posthume tout en ayant peut-être contribué à sa destruction personnelle.